Entretien imaginaire avec un Homme, qui plus est un Historien : Joseph Ki-Zerbo.
Pourtant, ne l'ayant presque jamais rencontré, me voilà au bout des lignes et aux révélations des pages, en face d'un Homme : Joseph Ki-Zerbo. Interloqué mais heureux, Mr Ki-Zerbo reconnut l'étudiant amoureux de l'Afrique mais haineux à cause du sort de son continent et de la conduite -peu exemplaire et digne- de ses fils, sachant bien la petite frontière entre l'amour et la haine.
Nous voilà, passionnés et engagées dans une discussion sur l'Afrique et son heure. Ayant senti que le temps pressait plus chez moi, quand il s'était figé net chez lui depuis longtemps; il se mit à raconter. -Tu sais, " quand, avec Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral et les autres, nous nous battions pour l'indépendance africaine, on nous répliquait : " Vous ne pouvez même pas produire une aiguille, comment voulez-vous être indépendants ? " Mais justement pourquoi nos pays ne pouvaient-ils pas produire une aiguille ?
Bonne question, mais c'est cruel d'entendre un tel propos, et j'imagine que cela vous motivait davantage. Je voudrais parler d'histoire, racontez-moi l'histoire de l'Afrique -si elle en a une, bien évidemment-.
Tout petits, nous devions utiliser un manuel d'histoire français qui débute par : " Nos ancêtres, les Gaulois." Au début de notre formation, il y eut donc déformation. Nous avons répété machinalement ce qu'on voulait nous inculquer. Plus tard à l'université, j'ai fait toutes mes études sans référence à l'histoire d'Afrique, sauf de façon superficielle en référence avec l'histoire européenne, par exemple pour signaler le rôle de l'Afrique pendant la traite des Noirs. Je peux vous citer encore les sujets de l'agrégation : " Florence au XVe siècle ", " L'Allemagne de Weimer "..., mais rien sur l'Afrique.Petit à petit, cette exclusion m'est apparue comme une monstruosité. J'ai eu soif, en étudiant le Moyen Âge européen ou la période contemporaine, de connaître l'histoire africaine. Elle commençait à m'intéresser parce que, justement, son absence nous faisait mal et nous donnait soif. Le désir de l'exhumer, de s'en revêtir, est né de cette contradiction.
Croyez-moi, votre constat d'hier demeure et il est le mien aujourd'hui, malgré le vol du temps, qui n'a pas suspendu son vol après la requête de Lamartine. Donc, vous avez décidé avec Cheick Anta Diop, de réhabiliter l'histoire du continent africain et de la rendre au service de la science.
- Oui, c'est le fait que nos aînés noirs à la Sorbonne comme les poètes Aimé Césaire, Léopold Sédar Senghor, René Depestre et d'autres nous avaient initiés à un regard alternatif sur l'Afrique, un regard sans complexe ripostant au mépris par un défi. (...) Je ne dis pas que nous avons tout fait, mais nous sommes partis de la méthodologie, de la problématique, de l'heuristique de notre discipline pour la renouveler au service du continent africain, mais d'abord au service de la science comme aimait à le répéter Cheick Anta Diop.
Cependant, l'historien Ki-Zerbo est aussi un homme politique, et vous portez un regard assez édifiant sur le monde. Pourquoi vous parlez de mondialisateurs d'un côté et de mondialisés d'un autre dans la mondialisation ?
Du point de vue africain, la mondialisation est l'aboutissement logique du système capitaliste de production. ... Les concepts de compétitivité et de rentabilité aboutissent à une sorte de darwinisme économique. Résultat : seuls les plus adaptés -the fittest, comme disent les Anglais - survivront. Par la mondialisation, le capitalisme sort du cadre purement national pour adopter des dimensions planétaires voire cosmiques.Le capitalisme mondial est muni de technologies de communication extrêmement pointues qui sont loin du contrôle même partiel par les Africains. Le marché des logiciels au niveau de la production nous est quasi étranger. L'économie mondiale est devenue une économie d'intelligence et d'information ; elle est moins fondée sur l'apport des matières premières des pays du Sud. On ne veut même plus consommer les produits bruts que l'Afrique a été contrainte de produire, d'extraire de son sol durant la période coloniale. Voyez par exemple la substitution des fibres optiques au cuivre, qui a ruiné la Zambie.Si vous comparez le rôle de l'Afrique à celui des États-Unis, vous verrez les deux pôles de la situation dans la mondialisation : entre les mondialisateurs que sont les États-Unis et les mondialisés que sont les Africains. Je ne sais pas de quel côté vous vous classez ; quant à moi, je sais que je suis mondialisé.
Je suis mondialisé aussi ? Mais je souhaite être africanisé. Excusez-moi, continuez...
L'épargne et l'accumulation restent très faibles à cause du clientélisme africain d'une part et de la mentalité de la bourgeoisie africaine d'autre part. Une mentalité qui consiste non pas à être et/ou à produire, mais à paraître et à distribuer. ainsi la bourgeoisie africaine n'investit pas dans le secteur productif, mais dans le secteur tangible et passager. (...)Il faudra défendre le rôle de l’État. Il est évident qu'on ne peut pas bâtir une société sur le principe du "tout privé". Il faudra non pas un arbitre mais un gardien du bien commun qui essaie d'empêcher la petite minorité de riches de dévorer entièrement la majorité de la population.
Vous entendre, que des défis et des enjeux, et ils demandent une prise de conscience chez l'Africain pour conquérir son environnement, porter un regard critique et objectif sur le monde afin de donner un sens et une valeur à ce qu'il possède, consomme, ou achète, et plus important, à ce qu'il peut produire.
- "Tu sais tu peux me tutoyer comme je le fais", je m'y refuse même si votre humilité et votre simplicité me tentent vers la familiarité, mais votre combat, votre héritage et votre immense conscience africaine m'exigent l'estime. Je sais que vous n'allez pas vous trahir, modeste comme vous l'êtes, mais je me dois de parler de votre ouvrage, qui m'a été -et est- très utile pour préparer cet entretien : Joseph Ki-Zerbo, À Quand l'Afrique ? Entretien avec René Holenstein. (Prix RFI Témoin du monde 2003)
Pas besoin de rappeler que l'histoire ne se fait pas en un seul jour, et qu'on ne la raconte pas en quelques heures. Ne comptez donc pas sur moi pour vous faire le récit de la vie et de l'oeuvre de Joseph Ki-Zerbo car je n'en ai pas les moyens, cependant je ne peux que vous aiguiser l'appétit, pour le découvrir, l'étudier et de vous en inspirer, d'où cette l'invitation à le lire.
Continuons... Vous parlez de "Démocratie et Gouvernance"
(...)
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